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Il faut oser… Oser aller vers l’autre. Même ici, à vélo. Faire le pas.
– « D’où vous venez d’même?
– De Québec!
– Méchante ride!!!
– Oui, méchante ride. »
Une ride qui brasse plusieurs choses. Des choses à l’intérieur.
Dans la tête. Car le sujet que nous traitons peut être complexe. Un puits sans fond, philosophique.
Dans le cœur. Car il touche des êtres vivants, sensibles.
Dans le ventre. Car le sujet que nous traitons est délicat, voire tabou.
Parfois, souvent même, nous sommes gênés d’aller vers l’autre. Nous avons peur des réactions et du rejet. Peur d’être jugés. Mais nous voulons comprendre. Et à chaque fois, sans exception, dans les communautés innues comme dans les villages québécois francophones, nous sommes accueillis à bras ouverts. Et toujours avec une écoute attentive. Un intérêt qui va au-delà de la simple curiosité.
Bien assis sur les roches du bouclier qui borde notre grand fleuve, nous imaginons que c’est peut-être l’effort du parcours à vélo qui entraîne ce respect, cette écoute. Comme si les uns et les autres se disaient qu’il y a sûrement de sérieuses raisons à être là avec tout notre attirail. Certaines personnes rencontrées préfèrent ne pas aborder profondément la question de la relation entre Québécois et Premières Nations, d’autres parlent de leur vision sans aucune gêne, d’autres défendent avec vigueur leurs opinions, leurs points de vue.Tous ont besoin de parler.
Une constatation assez généralisée : ceux qui ont les préjugés les plus forts ne sont jamais allés à la rencontre de l’autre. Soit ils n’ont jamais mis les pieds dans une communauté autochtone, une réserve si vous préférez, soit à l’inverse, ils n’ont pas de liens avec les « Blancs ».
Un autre constat assez généralisé : les jeunes Innus qui ont les yeux bleus, la peau blanche, bref ceux qui n’ont pas ce que certains appellent les « traits autochtones », vivent beaucoup de racisme. Autant dans leur communauté qu’à l’extérieur de celle-ci. Comme si être Innu relevait de la race, d’un certain pourcentage de sang, de la couleur de la peau. La célèbre Loi sur les Indiens abonde d’ailleurs en ce sens et n’aide pas la situation. Un Innu d’Essipit, aux yeux bleus justement, nous racontait à quel point il fait mal de se faire traiter ainsi, quand toute ta vie tu as grandi dans une communauté innue, quand pour toi, les valeurs innues sont les tiennes, quand tu te sens Innu. Mais que tu n’as pas le « physique qui va avec ».
Cette distinction physique et génétique, de race, est dangereuse. Nous n’avons qu’à regarder l’histoire récente de notre humanité… En Norvège, la loi N°56 du 12 juin 1987 stipule qu’un Samé, peuple autochtone habitant le Nord du pays, « est une personne qui a : le samé comme langue maternelle, ou dont le père, la mère ou l’un des grands-parents a le samécomme langue maternelle, ou bien qui se considère comme tel(le) et vit selon les règles de la société samé, et qui est reconnu(e) par la communauté samécomme l’un des siens ».[1] Bien sûr, certains s’insurgeront de l’aspect subjectif que peut contenir cette approche. Et il est facile d’imaginer certaines dérives qu’elle pourrait engendrer. Mais fondamentalement, n’est-ce pas cela : « Est Samé celui qui se dit Samé » ? Il est crucial de libérer la question de l’identité du cloisonnement du sang, de la race.
Pessamit
Avant d’arriver à Pessamit, le courriel d’un ami nous met en garde: « Ma tante qui habite la Côte-Nord me disait de vous dire de faire attention, les Blancs ne sont pas toujours les bienvenus sur la réserve ». Aussitôt arriver dans la communauté de Pessamit, le temps d’un arrêt au dépanneur pour se désaltérer, dix personnes bien calculées passent nous dire le bonjour, nous souhaiter la bienvenue. Ils questionnent notre passage, puis notre projet.
Nous devions passer quelques jours à Pessamit, nous y sommes finalement restés plus d’une semaine… Nos hôtes, Isabelle Kanape et sa mère, Marcelline Picard-Kanape, nous ont accueillis à bras ouverts, à cœur ouvert. Soupe aux pois du temps des fêtes, pâtés innus – les meilleurs! – pain frais cuit aux petites heures du matin, mais surtout de longues discussions sur le passé, le présent, le futur. Madame Picard-Kanape, première femme chef de Pessamit, a du vécu. Elle a l’instinct aiguisé. De ses paroles, nous pouvons toujours tirer des enseignements. Elle nous parlait de ses combats, de l’importance d’enseigner la langue innue dans leurs écoles, de l’esprit de communauté encore fort présent à Pessamit. Bien sûr, il y a aussi des problèmes. Et ils sont nombreux. Personne ne peut le nier. Oui, l’alcool, la drogue, les problèmes de suicide et de violence sont présents. Mais il y a aussiautre chose. Si vous saviez le nombre de personnes que nous avons rencontrées qui travaillent à redonner de la fierté, à grand coup de pelle, à leur communauté.
Isabelle Kanape, la première, qui s’investit dans milles et un projets, qui initie, qui convainc. Le Conseil des Jeunes par exemple auquel elle insuffle un souffle déterminant. Lesforums jeunesses, qu’elle organise avec son équipe ou auxquels elle participe. Les nombreuses pages Facebook qu’elle entretient pour inciter « les jeunes » à l’action. Isabelle nous a trimballés partout. Partout. À la rencontre des uns et des autres. Chez Capteur de rêve, un groupe favorisant la réinsertion sociale; à la radio Ntetemuk CIMB, où Claudette nous a interviewés et traduit nos propos dans la langue du pays, car nous ne connaissons pas l’Innu; à l’école secondaire Uashkaikan où le très souriant directeur Jean Vollant nous a grandement accueilli et expliqué avec passion le projet Innu Rassemble. Chez les Pompiers, chez Philippe Rock, trappeur, et même au petit bar du village pour entendre Claude Mckenzie pendant toute une soirée…
Nous avons aussi rencontré un jeune homme fascinant du nom de Malcolm Mal’armé Riverin, un jeune auteur et interprète Innu qui rappe en français comme dans sa langue maternelle et dont nous allons vous reparler plus longuement car il a du talent à revendre ce Malcolm. Et il sort son premier album cet automne. Incontournable.
Bref, nous sommes tombés en amour avec ce coin de pays. Nos coups de pédale nous en éloigne pour l’instant, mais nous nous promettons d’y retourner sous peu. Merci Pessamit.
[1] Tiré de L’Encyclopédie de L’Agora : http://agora.qc.ca/dossiers/Lapons