le dimanche 25 septembre prochain à 19h30 dans le « Programme Courts de la Ville de Québec ») et le Festival Planet in Focus à Toronto (12 au 16 octobre)
Nous avons véritablement décroché au retour du Nord. Nous avions besoin de faire le point. De savoir où nous en étions, et où nous allions. Pas de Facebook, ni de mises à jour. De simples coups de fil aux parents et aux amis pour dire que tout allait bien, puis une retraite tranquille pour survoler nos idées. Prendre du repos et arrêter d’avoir peur.
Car oui, il nous arrive d’avoir peur. De douter. De nos idées et de nos idéaux justement. De la route sur laquelle nous sommes. De nous. De pouvoir vivre de ces projets un peu fou. De joindre les deux bouts. De pouvoir mettre en images ce que nous avons en tête. Comme il nous arrive de nous sentir sur la bonne « track de l’univers », celle où tout semble arriver à point. Les rencontres, les discussions, les coïncidences… Et bien sûr, il nous arrive de jongler d’ambivalence. Mais dernièrement, nous jonglions avec le doute.
Hier soir, bien campés sur nos petits matelas gonflables dans le sous-sol de nos désormais grands amis de Pessamit, nous mesurions la chance que nous avions. D’être là tout simplement. La veille, nous en avions rit un coup en jouant au bingo pour le gros lot de la semaine. Dans la journée, nous avions rencontré Bruno Rock, un jeune professeur d’histoire à l’école secondaire Uashkaikan, qui nous expliquait sa volonté d’enseigner l’Histoire des Innus à ses élèves Innus. Une évidence vous nous direz, mais qui est loin d’être évidente. Il faut suivre le programme du Ministère. Et ce soir-là, Isabelle nous avait trimballés au Rendez-vous des Aînés qui cette année rassemble les 11 communautés Innues du Québec et du Labrador. Plusieurs centaines de personnes qui, pendant plus de 10 jours, cohabitent dans une soixantaine de tentes prospecteurs, regroupées en quartier selon les communautés. Pour le plaisir d’être ensemble, d’échanger, de partager, de prier aussi, et de faire de la banique dans le sable. En plein bois bien sûr. D’une beauté mes amis…
Vous vous souvenez de Malcolm, ce jeune rappeur Innu de Pessamit dont nous vous avions parlé? Cette même journée, nous passons l’avant-midi sur son balcon, à l’écouter rappersa vie et nous dire à quel point, pour lui, la musique repousse le mal de vivre. Elle ne l’élimine pas, elle le repousse. Elle fait du bien. Comme si un gros cumulus prenait le dessus sur le méchant nimbus. Avant de se quitter, de se dire à la prochaine fois, il nous lance : « Vous savez ce que j’aime chez vous? C’est cette flamme qui vous anime, cette flamme qui vous amène à tenter de comprendre les choses. » Il n’en fallait pas plus pour rentrer à vitesse grand V dans notre track universelle.
Nous avons quitté Pessamit le cœur confiant et heureux. Saluant encore une fois Isabelle en se disant à la prochaine fois…
L’esprit du Mushuau nipi
Ce qui nous ramène quatre semaines plus tôt, alors que nous laissions nos vélos chez un ami à Franquelin, pour prendre la direction du Nord, le Nord du Nord, plus précisément à 250 km au Nord-Est de Shefferville, au Mushuau Nipi. « Mushau » signifiant sans arbres et « Nipi » signifiant lac en Innu. Après 12 heures de train et 1h15 d’hydravion, nous arrivions donc au lac de la terre sans arbres…
Nous avons passé quatre semaines à côtoyer la toundra, le thé du Labrador, la rivière Georges et l’Esprit du Caribou. Pendant plusieurs milliers d’années, le Mushuau nipi fut un lieu de convergence, un lieu de rassemblement, prisé par les nomades et par le caribou qui y laissait sa trace migratoire. D’anciens sites de campement datés de plus de 5000 ans témoignent de cette époque. L’esprit du lieu est particulier. Bouleversant même. Sans nous demander notre avis, l’imagination dessine dans nos têtes les images d’une toundra animée de la fébrilité des campements de jadis.
Aussitôt arrivés sur le site, les deux organisateurs de l’événement – Jean-Philippe et Serge – s’empressent de vérifier si les perches d’épinette de leurs anciens tipis sont intactes. L’installation du campement débute : montage des tipis, des tentes cris, du shaputuan, de la cuisine et du fumoir. L’installation complète prendra une semaine. Les deux Aînées du campement, nos deux reines, Élizabeth et Anne-Marie, sont les gardiennes du savoir. Du rire aussi. Elles sont l’âme du camp. Élizabeth pourrait préparer la banique les yeux fermées alors qu’Anne-Marie nous raconte les histoires de son peuple. On fume le poisson, on prépare le porc-épic, on cueille le thé du Labrador.
Depuis maintenant sept ans, ces deux visionnaires que sont Serge et Jean-Philippe organisent sur ce site des Séminaires Nordiques portant sur des enjeux de l’actualité et rassemblant des acteurs politiques, communautaires, sociaux, des citoyens, … Cette année, ce Séminaire de quatre jours se penche sur l’exploration minière dans le contexte actuel du Plan Nord. Et cette année se tient pour la première fois un Séminaire Jeunesse rassemblant des jeunes de plusieurs communautés. L’un des thèmes principaux est la prise de parole.
Vous devinez que nous pourrions en écrire long sur ces quatre semaines passées là-haut. Et nous le ferons certainement dans l’essai que nous préparons. Mais nous avons envie ici de vous parler d’amitié… Car dans des contextes comme celui-là, face à l’autre et face à soi-même, face aux éléments et loin du Web 2.0, nos pensées ont le loisir de s’évader, de se vider. On peut refaire le monde des milliers de fois. Des projets naissent. De grands esprits se rencontrent. Au-delà des aurores boréales, des moments forts et moins forts, des tempêtes de vents et de pluie, des tempêtes personnelles aussi que certains peuvent vivre ou de la lumière qui vient éclairer leur vie, des liens forts se tissent. Et c’est ce qui nous enrichie le plus.
Ce qui nous ramène à cette citation de Linus Pauling, prix Nobel de Physique de 1962, quinous rappelle justement que “La vie ne réside pas dans les molécules, mais dans les liens qui les unissent entre elles.” Sur la Côte-Nord comme en Israël, dans les Bayous comme aux confins de la Chine, au Dakota comme à New York, il faut cesser d’avoir peur d’aller vers l’autre et tisser la toile de ces liens.